Vikings en BretagneSkol Vreizh No 5, 1986, p28-30 |
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LE RÉTABLISSEMENT AVEC ALAIN LE GRAND
"Il y avait alors entre Alain et Judicaël chefs des Bretons de sérieux et violents dissentiments touchant le partage du royaume. Par suite, les païens, trouvant les Bretons dans cette opposition plutôt de caractères que de territoires, se ruent sur eux en toute confiance. Ceux-ci, pendant qu'ils traînent la guerre en longueur avec les moyens propres à chacun et non par un effort commun, qu'ils refusent de se porter secours l'un l'autre, comme si la victoire de l'un ne fût pas la victoire de tous, éprouvent de grands dommages. ils sont écrasés de tous côtés et leur territoire entier leur est arraché jusqu'à la rivière du Blavet. Alors, comprenant pour la première fois combien la discorde leur avait apporté de malheurs et de force à leurs ennemis, ils scellent leur réconciliation par un échange d'envoyés ; ils conviennent du temps et du lieu où se diriger et font des préparatifs de bataille avec des forces conjointes. Aussi Judicaël, qui était le plus jeune désirant rehausser la gloire de son nom, sans, attendre Alain, engage le combat avec ses gens, fait par milliers un carnage des ennemis contraint les survivants à s'enfuir dans un bourg. Comme il les poursuivait avec plus de témérité qu'il ne convenait, il est tué par eux, ne s'étant pas rendu compte que s'il est bon de vaincre, il n'est pas bon de triompher sans merci car le désespoir est dangereux. Après cela, toute la Bretagne étant unifiée, Alain fit le voeu que s'il arrivait à vaincre ses adversaires par le secours divin, il destinerait à Dieu et à Saint-Pierre de Rome la dixième partie de tous ses biens. D'ailleurs, tous les Bretons se portent garants de ce voeu, il va au combat et, bataille étant livrée, il fait un tel carnage des ennemis qu'à peine quarante hommes sur quinze mille retrouvèrent leur flotte".
La difficulté principale dans ce texte tient à ce que Réginon ne précise pas le lieu de l'engagement victorieux de Judicaël, pas plus qu'il ne localise la victoire décisive d'Alain le Grand. Toutefois, sachant qu'un fort parti viking vient en 890 de forcer Saint-Lô et que les annales de Saint-Vaast témoignent que ces envahisseurs déboutés reprirent bientôt le chemin de la Seine, il semble établi que la première rencontre eut lieu quelque part dans le pays de Rennes ou dans le bas-Cotentin. La seconde peut bien avoir pour cadre la basse-Loire dont Alain entend libérer les Vikings,
Une autre difficulté surgit de la mention par l'historien du XVe siècle Pierre Le Baud d'une autre bataille, qu'il rapporte avoir eu lieu à Questembert. Le Baud étant un érudit sérieux, il n'est pas possible de se débarrasser de son témoignage d'un revers de main comme l'a fait récemment M. Hubert Guillotel. L'historiographe de la duchesse Anne s'appuyait sur des Chronicques Annaulx, malheureusement perdus depuis. Écoutons le : "Allain comte de Vannes fit l'une de ses batailles en Broguerech (Vannetais), en un lieu nommé Kestembert, où il fit si grant destruction des Danois qu'elle donna terreur aux autres qui délaissèrent la région". Son témoignage paraît d'autant plus recevable qu'il présente ensuite un enchaînement des faits conforme à ce que nous apprennent les annalistes contemporains : "les Normans oppressèrent par leur subite venue le peuple breton, pource que les princes du pays n'estoient pas assez appareillez à leur résister ; mais après s'assemblèrent partie desdits Bretons sous le comte (Judicaël ou Juhel) Bérenger de Rennes, et firent bataille près le neuve Coynon (Couesnon) contre une multitude desdits normans qu'ils occirent. Et Alain le Grand, avec l'autre partie des Bretons, assaillit une autre compagnie desdits Normans assez près du fleuve de Loire, dont il occist la plupart et les autres s'enfuirent. Et ainsi les chassèrent les Bretons de leur région". La Borderie avait proposé de dater de 888 la victoire de Questembert, ce qui peut être discuté. En revanche il n'est pas d'argument valable - sinon l'unicité du tardif témoignage de Pierre Le Baud - pour réfuter l'idée même que des succès partiels, dont Questembert, ont jalonné le chemin conduisant aux victoires sans appel de l'année 890.
890 marque bien un coup d'arrêt à l'expansion scandinave. La chronique anglo-saxonne se fait aussi l'écho de ce tournant : "l'armée danoise vint de la Seine à Saint-Lô, ville sise entre la Bretagne et la France ; et les Bretons se battirent contre eux et remportèrent la victoire et les rejetèrent dans une rivière (le Couesnon ?) et en noyèrent beaucoup". Alain, seul compétiteur survivant, régnera sans rival et sans heurts jusqu'à son décès survenu en 907. Lui vivant, les Vikings disparaissent de l'histoire de Bretagne (les annales de St Vaast mentionnent une attaque scandinave repoussée en 898) et c'est à bon droit qu'une charte du cartulaire de Redon présente ce père de la patrie goûtant au château de Rieux, sa demeure habituelle, un repos profond après avoir, avec l'aide de Dieu, rétabli la paix dans toute l'étendue de son empire et fait cesser toute espèce de guerre par sa propre soumission à la servitude du Christ".