Les rois de Bretagne, IVe - Xe siècleEds Perrin 2005, p196-198 |
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Réginon de Prüm rapporte les entreprises militaires des deux hommes, hier ennemis, aujourd'hui allié, Ils élaborent un plan de campagne, "font des préparatifs de bataille avec des forces conjointes". Mais Judicaël, en digne fils de Gurwant, trépigne d'impatience ; il veut en découdre rapidement, soucieux de "rehausser la gloire de son nom" . Sans attendre Alain, il engage le premier le combat et, comme son père jadis, "fait par milliers un carnage des ennemis". Les survivants sont contraints de s'enfuir dans un bourg. Il les poursuit "avec plus de témérité qu'il ne convenait" et est tué dans cet ultime assaut. Une victoire inutile pour lui donc, mais fort précieuse pour les siens.
Alain, qui est le plus âgé des deux chefs bretons, intervient à son tour, Il doit confirmer ce premier résultat positif et l'emporter nettement pour en finir, faute de quoi il y aurait de nouveau grand danger. Conscient de l'importance de la rencontre imminente, il invoque le Ciel, faisant "voeux que, s'il arrivait à vaincre ses adversaires par le secours divin, il destinerait à Dieu et à Saint-Pierre de Rome la dixième partie de tous ses biens". Puis il se rue à l'attaque et "fait un tel carnage des ennemis qu'à peine quarante hommes sur quinze mille retrouvèrent leur flotte". Les Vikings anéantis, la Bretagne est sauvée de l'invasion. Les pirates, instruits par cette dure leçon, ne reparaîtront pas dans l'Ouest armoricain avant des années.
Il y a débat sur le lieu et la date de ces deux affrontements. On a longtemps admis la version d'Arthur de La Borderie. Pour lui, les deux victoires auraient été remportées dans le pays vannetais : Judicaël aurait battu les Normands près du Blavet ; Alain les aurait écrasés près de Questembert, situé aujourd'hui dans le Morbihan. L'historien breton a emprunté cette dernière localisation à son devancier Pierre Le Baud qui l'avait affirmée sans hésitation. Pour le choix de la date, La Borderie, opérant de fragiles déductions à partir de deux actes connus de lui, avait prétendu qu'elle ne pouvait se situer qu'en 888.
Ces dires sont, depuis une vingtaine d'années, remis en question. On ne se serait pas battu au coeur de la Bretagne mais à l'entrée orientale de celle-ci. Après la prise de Saint-Lô par les Scandinaves, ceux-ci auraient voulu entrer en force dans le pays à partir notamment de la France occidentale. Judicaël aurait donc triomphé non pas sur le Blavet mais aux environs de la Vire, qui marquait la frontière entre les deux royaumes. Quant à la victoire d'Alain, elle n'aurait pas eu lieu à Questembert, mais, estime Hubert Guillotel, "selon toute vraisemblance du côté de la limite est du royaume breton", de préférence dans les environs de la Mayenne. L'année 888 semble ne pas devoir être retenue non plus. Comme les glorieux événements se situeraient après la prise de Saint-Lô, il conviendrait de les repousser l'une et l'autre vers le début de 890. Des corrections importantes ont donc été apportées ici et là, mais le débat reste ouvert.
Ce qui est certain, c'est qu'il ne demeure qu'un vainqueur à l'issue des combats, Alain. Auréolé de son prestigieux succès, il mérite alors d'être surnommé "le Grand" . A-t-il été, puisqu'il était le dernier prétendant à la couronne survivant, proclamé roi par ses troupes ? Non. Le chemin jusqu'à la monarchie est long et passe d'ordinaire, depuis Erispoé et Salomon, par la reconnaissance du monarque de Francie. S'il n'y a pas encore de nouveau souverain en Bretagne, il y a maintenant un seul chef qui peut prétendre à cette dignité. Curieusement, c'est le péril normand et le destin qui lui ont offert cette possibilité tant espérée. [..]